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Cycle de séminaires ICPP - U cantu di a boci senza bocca. Poésie et métaphysique chez Norbert Paganelli

Licencié en droit, docteur ès sciences politiques, directeur de la Maison de la poésie de la Corse, le poète Norbert Paganelli (n. 1954) est le traducteur en langue corse du Cantique des cantiques (U cantu di i canti, Éditions A fior’ di carta, 2014). Il a coordonné deux anthologies de poésie (Musa d’un populu, florilège de la poésie corse contemporaine, Éditions Le bord de l’eau, 2017 et Par tous les chemins, florilège poétique des langues de France : alsacien, basque, breton, catalan, corse, occitan, Éditions Le bord de l’eau, 2019), ainsi que les actes d’un colloque sur la poésie, qui a eu lieu en novembre 2022 à Bastia (L’état de la poésie contemporaine, Éditions Le bord de l’eau, 2024). Auteur du récit autobiographique (Noratlas. Une enfance entre la Corse, l’Algérie et Paris, Éditions Le bord de l’eau, 2023), Norbert Paganelli a publié depuis son début littéraire (à l’âge dix-neuf ans, avec Soleil entropique, Éditions Les paragraphes littéraires, 1973) et jusqu’à présent une quinzaine de recueils de poèmes dont la plupart sont bilingues (corse et français).

En lisant les poèmes de Norbert Paganelli, on est frappé par la fraîcheur de sa parole poétique qui ne fait qu’un avec le chant de la voix qui n’utilise pas de mots, « sta boci chì mai ùn parla/cette voix qui jamais ne dit mot » (le poème Adrizzu/Adresse du recueil A notti aspetta/La nuit attend, Éditions Colonna, 2011, pp. 10-11), et qui résonne en nous, dans la solitude et le silence. Cette voix que le poète nous fait entendre est celle des pierres, de la mer, du ruisseau, de l’arbre, du vent, du feu, de la montagne et de l’immuable « force » créatrice, source, de toute forme de vie, « forza senza anni è senza culori », récurrente dans le poème Principiu/Genèse du recueil Canta à i sarri/Chants aux crêtes (Éditions A fior’ di carta, 2009, p. 14, p. 16, p. 18, p. 22).  C’est dans cette voix, tantôt murmurée, tantôt muette, que la poésie de Norbert Paganelli trouve son origine. Issue de la nécessité de reformuler l’emploi qu’on donne aux mots, sa poésie laisse remonter des formes archétypales de l’inconscient vers le conscient, afin de s’offrir à l’humanité sous la forme d’un chant unique, venu à la fois de ce monde et de l’autre monde, un chant porteur de mystère et de lucidité : « Bisognu à dà à l’omu/Un di sti canta d’alta rinumata/Un cantu mai intensu/Un cantu chì canta da par eddu/ Besoin de donner à l’homme/Un de ces chants de haute renommée/Un chant jamais entendu/Un chant qui chante par lui-même » (le poème Discorsu/Discours, du recueil Canta à i sarri/Chants aux crêtes, Éditions A fior’ di carta, 2014, p. 34).  Précédé par la citation suivante : « Semu a vita è ùn ci pò scuraghjà/Nous sommes la vie que rien ne décourage », ce poème interpelle par son titre. Le mot « discours » apparaît aussi dans le titre d’un poème plus ancien, intitulé U discorsu di a notti/Le discours de la nuit : « …A notti hè discorsu/È i cosi cechi chè tù senti/Sò pieni à lumu/Chì ùn si pò veda/La nuit est discours /Et les choses aveugles que tu perçois/Sont emplies d’une clarté/Qu’on ne peut voir » (A petra ferta/ La pierre blessée, 1981). De quel type de discours on parle ? Bien évidemment il ne s’agit pas d’un discours qui relève d’un raisonnement, il ne provient pas de la pensée conceptuelle, logique, ordinaire, mais de la pensée symbolique, qui fait partie de la poésie. En prenant soin des images qui l’habitent, le poète devient capable de voir au-delà de la réalité physique des choses, des êtres et de son moi individuel. Non seulement il ressent la présence de la force éternelle, mais il s’identifie à elle et à cette voix intérieure qui dit :   

« Sò a lingua straniera/Di a me bocca aparta/A me bocca chì ridi/A me bocca chì canta è chì pienghji/Sò a lingua imprighjunata/Chì voli campà fora/Apriti i balcona/Bugheti porti è sulaghja/Sò lingua paisana/Antica cucina di l’acqua è di a tarra/Isulana/Sò lingua chì và caminendu/Par i stradi d’aprili/Purtendu à u me passu un cantu chjaru/Un altu cantu fieru/Stu cantu si chjama lamentu/Stu lamentu hè a me stodia/Nova/Je suis la langue étrangère/À ma bouche ouverte/Ma bouche qui rit/Ma bouche qui chante et qui pleure/Je suis la langue emprisonnée/Qui veut vivre dehors/Ouvrez les fenêtres/Poussez portes et planchers/Je suis la langue populaire/Vieille cousine de l’eau et de la terre/Insulaire/Je suis la langue qui va/Par les routes d’avril/Tenant à mon pas un chant clair/Un chant haut et fier/Ce chant se nomme lamento/Ce lamento est mon histoire/Nouvelle » (le poème Altu cantu/ Haut chant, du recueil A petra ferta/ La pierre blessée, in Invistita/Errance, Éditions Publibook, 2007, pp.38-39).  En s’identifiant à la voix du Soi, le je poétique ne fait plus qu’un avec le « lamento », ce chant « clair », « haut et fier » qui occupe une place si importante au sein de la culture corse ; ce chant familier aux hommes, aux arbres et aux pierres de l’Île. « I scodda a sani/Chè a m’ani dittu//Ed eiu/Ùn cì socu par nudda/Ùn facciu mai chè ripeta/Les rochers le savent/Puisqu’ils me l’ont dit//Et moi/Je n’y suis pour rien/Je ne fais que répéter » (le poème Discorsu, op. cit, pp. 36-37). Le poète affirme qu’il ne fait que « répéter » ce que cette voix venue à travers les pierres lui a transmis. Parfois, la voix lui rappelle que la vraie raison de l’écriture est celle de reformuler sans cesse l’usage du langage, afin de renouveler (« Ce lamento est mon histoire/Nouvelle »), d’apporter sa contribution personnelle à la création perpétuelle de monde : « Feti lettari è feti filara seti quì par fà u mondu/Iè chì mi m’invengu/ Tracez lettres et lignes vous êtes ici pour refaire le monde/ Oui je m’en souviens » (le poème Mi n’invengu/Je m’en souviens, du recueil Canta à i sarri, op. cit., pp. 62-63). Et, à d’autres moments, elle lui fait vivre des expériences ontologiques où l’Autre (« l’Africain le plus noir de l’Afrique noire » dans le poème Prichera salvatica/Prière sauvage ou « le Palestinien écorché de l’Histoire oublieuse » dans le poème Stancaghjina/Fatigue) rayonne à l’intérieur de sa propre ipséité. C’est dans le compagnonnage de la voix de cet autre je que se lève le Soleil entropique de Norbert Paganelli. Et c’est en cela que réside l’originalité de ses « chants » polyphoniques, concentrés autour du credo que « u mondu hè un locu induva s’impara chè par essa ùn ci hè bisognu di locu/le monde est un lieu où l’on apprend que pour être il n’y a pas besoin de lieu » ; par cette citation de Roberto Juarroz, placée en tête du poème Stancaghjina, le poète Norbert Paganelli semble nous dire que la vie que nous sommes trouvera toujours les ressources de perdurer, de se réinventer, au-delà de l’espace et du temps.     

 

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VICTOIRE GIULIANI | Mise à jour le 18/11/2024